Parce que l’inconnu fait peur, parce que l’Autre que soi est toujours accusé de tous nos maux, Madame Gueguen, professeur d’histoire-géographie du lycée Léon Blum de Créteil décide de faire concourir ses élèves de Seconde au Concours national de la résistance et de la déportation. C’est l’histoire vraie qui nous est contée dans le film « Les Héritiers ».  Pari audacieux, pari risqué qui interroge sur la place et le rôle de l’école et de l’enseignant dans le vivre ensemble, dans la transmission d’une histoire et de valeurs communes, question malheureusement cruellement d’actualité.
La transmission de la connaissance
Je m'appuie sur le film "Les héritiers" car il propose une vision constructive du vivre ensemble.
Les lycéens ne savent rien de la Shoah ou presque. Les rares réflexions qu’ils en font sont souvent biaisées. Ils éprouvent une réticence manifeste à traiter ce sujet. Patiemment et sans jugement, leur enseignante va les amener à passer de la croyance à la connaissance. Petit à petit, elle va les mettre face aux documents historiques pertinents pour les accompagner dans leur réflexion. Elle les pousse à mener leur enquête, à découvrir par eux-mêmes l’horreur des camps. Elle les confronte à la réalité des faits. Le choc des images, la visite du Mémorial de la Shoah, la dureté des témoignages, tout concourt à les faire réfléchir, à mettre leur pensée en mouvement, à remettre en cause leurs croyances. Ils ne sont plus simples élèves qui écoutent passivement un cours. Ils sont, le temps de cet atelier, des historiens en herbe qui interrogent les faits, les mettent en relation pour comprendre la grande Histoire. Consciente qu’enseigner n’est pas imposer mais aider à découvrir, elle les laisse errer, chercher, analyser, prendre conscience en les accompagnant dans leur réflexion, avec bienveillance et respect. Elle sait que celui qui accède à la connaissance ne peut plus ni nier, ni ignorer. Il est face à lui-même, face à sa conscience. L'enseignant et l’école apparaissent ainsi comme le premier rempart contre l’obscurantisme.
S’ouvrir à l’Autre pour le comprendre et l’accepter
Pour comprendre l’Autre, il ne s’agit pas uniquement de connaître, il faut aussi ressentir. Comme on l’a vu, pour parler de la Shoah, rien ne remplace l’évidence des faits vérifiables et incontestables mais pour aider les élèves à comprendre viscéralement l’horreur des camps, Madame Gueguen fait appel à leur empathie. A ce titre, on peut saluer le choix du sujet de la part de l’Education nationale « Les enfants et les adolescents dans le système concentrationnaire nazi. » Quel autre thème aurait, à ce point, pu engager les élèves ? Ils se retrouvent, face à face, avec des enfants et des adolescents auxquels ils peuvent aisément s’identifier.  L’Autre qui paraissait jusqu’à présent si différent d’eux, semble tout-à -coup beaucoup plus proche, plus réel. Ils se découvrent des similitudes avec Anne Franck, une adolescente, comme eux, le jour où sa vie lui est volée par la barbarie des hommes. Les enfants squelettiques derrière les barbelés pourraient être leurs petits frères et sœurs. Alors, quand Léon leur livre le témoignage poignant du jour où, à 15 ans, il a dû faire son adieu à son père exterminé dans les camps, le silence règne dans cette classe habituellement si agitée. Pas un souffle. Le temps de son récit, les jeunes ont vécu dans leur chair le drame de Léon. Ils ont son âge. Ils se sont identifiés à lui et à son histoire. Ils ont compati car s’identifier est le meilleur moyen de « souffrir avec » l’Autre et pour l’Autre. L’Autre devient alors une partie de soi et l’altérité est gommée. Le vivre ensemble harmonieux suppose d’être accompagné pour changer son regard sur les choses et le monde et adopter, le temps d’une dissertation, d’un cours, d’un exposé, le point de vue de l’Autre.
Vivre en paix avec l’Autre demande d’être en paix avec soi
Dernnier enseignement de ce film si juste, c’est qu’il est impossible d’accepter l’Autre si on ne s’accepte pas soi-même. Et encore une fois, le rôle de l’enseignant est primordial dans ce regard bienveillant que l’on porte sur soi. C’est à une classe considérée comme « perdue » que Mme Gueguen propose de faire ce concours. Le proviseur ne croit pas en son projet. Pourquoi ne pas donner leur chance à des étudiants qui le méritent ? Parce que tous les jeunes méritent que l’on s’intéresse à eux et que l’on croit en eux. Alors avant de leur transmettre le savoir, elle va leur transmettre de l’Amour. Elle va les regarder comme on ne l’a jamais fait, avec un regard qui leur dit « Vous êtes capables. J’ai foi en vous. »
On voit à quel point ce regard les déstabilise. Ils ont envie de fuir, de s’extraire. Ils ne se sentent pas à la hauteur. Mais elle maintient le cap : elle est sûre qu’ils peuvent y arriver, sûre qu’ils ont des choses intéressantes à dire. Ce nouveau regard qu’elle porte sur eux va leur permettre de reprendre confiance en eux et en leurs capacités et c’est un nouveau monde qui s'ouvre à eux. Plus ils ont, chacun individuellement, confiance en eux, plus ils peuvent s’ouvrir aux idées des autres sans se sentir déstabilisés Ils arrivent ainsi à communiquer sereinement et à travailler tous ensemble. Vivre en paix avec l’Autre demande d’être en paix avec soi-même. Et alors on peut s’enrichir les uns les autres sans crainte. Le vivre ensemble passe nécessairement par l’Amour de soi. Voilà pourquoi le personnage d’Olivier, qui se cherche, qui n’est pas sûr de son identité, qui veut se faire appeler Ibrahim, n’arrive pas à grandir avec les autres. Petit à petit, il se marginalise lui-même quand tous ses camarades qui ont accepté l’altérité s’élèvent, dépassent leurs propres limites jusqu’à gagner le premier prix au concours national alors que personne ne croyait en eux.
Je finirai en saluant ce titre splendide « Les héritiers » si juste et si fin parce que nous sommes tous, sans exception, les héritiers d’une Histoire commune avec ses moments de gloire et ses atrocités, l’Histoire de l’être humain. Nous devons arrêter de croire qu’il y a une Histoire différente par communauté. L’Histoire est une et indivisible. Qui porte atteinte à un Homme, porte atteinte à l’Humanité toute entière. « Notre idéal est la construction d’un monde nouveau dans la paix et la liberté. ». Alors quelques soient notre religion, notre nationalité ou notre couleur de peau, « levons nos mains et jurons pour démontrer que nous sommes prêts à la lutte » contre l’obscurantisme, l’extrémisme et la barbarie.